En bas de chez moi, dans le parc, un petit cirque vient de s’installer. Juste là. Jaune, comme une tache de peinture vive coulée du soleil pour égayer l’endroit. Comme la couleur d’un souvenir de mon enfance qui me ferait un pied de nez. Car il y a longtemps…
Je devait avoir alors un peu plus de douze ans. Dans un champ vert et libre encore, tout près des bâtiments de la cité, de temps à autre, un petit cirque s’installait. L’herbe verte se transformait alors pour quelques jours en un tapis rouge et se déroulait sous les pieds des artistes et des animaux. Les chevaux, les poneys, les lamas et les chèvres découvraient alors le goût des pâturages locaux au milieux des autos.
Puis, sous les flonflons des hauts parleurs et du linge qui séchait en mesure comme un funambule suspendu sur son fil, parmi l’ambiance qui mettait des étincelles dans les yeux des enfants bien avant que le spectacle commence, il y avait une girafe. Grande et majestueuse, qui du haut de mon petit âge, s’étalait en hauteur à n’en plus finir.
Un soir, en revenant du collège, je traversais l’endroit d’un œil curieux et, me connaissant, sûrement rêveur et enjoué, quand un homme m’appela :
- Petit, viens voir, s’il te plait.
Bien sûr ma mémoire aujourd’hui fait défaut mais il me plait d’imaginer à l’instant où j’écris que l’homme avait un nez rouge et de longues chaussures de clown. Je m’approchais sans méfiance.
- Ma girafe est malade. Tu ne connais pas un vétérinaire dans le coin ?
- Euh…? Non, monsieur.
- Ou un médecin qui pourrait ausculter ma girafe ?
- Non, mais pas très loin il y a un hôpital. Juste là, lui répondis-je en pointant mon doigt au delà des bâtiments.
- Tu peux venir avec moi et me montrer l’endroit ?
Je n’allais tout de même pas lui dire que mes parents m’avaient interdit d’aller avec une personne inconnue. Je ne sais plus vraiment qu’elle fut ma réponse mais je me revois assis sur la banquette arrière d’une voiture. L’homme au nez rouge était au volant ; à ses côtés, côté passager un autre homme était là. Son bras sortait par la vitre ouverte et, de sa main, il tenait une corde. Une corde qui montait dans les airs.
La corde montait et montait encore pour entourer le cou de la girafe mal en point qui marchait le long de la voiture. Combien de temps avons nous mis pour aller jusqu’à l’hôpital ? Je ne sais plus mais nous roulions au pas amble de la girafe. Et je peux vous certifier qu’une girafe marche lentement. Et une girafe malade, n’en parlons pas !
Nous laissâmes le deuxième homme traîner en laisse sa girafe jusqu’à l’accueil de l’hôpital et le clown conducteur me ramena jusqu’au cirque.
- Merci, petit. Grâce à toi, notre girafe va être soignée. Viens ce soir, je t’invite à la représentation. Tu seras mon invité d’honneur. (bon, ok, là aussi je m’arrange avec ma mémoire).
Je rentrais donc à la maison. Forcément j’étais très en retard et ma mère se faisait du soucis. Pourtant, c’est fier que je lui fis part de ma petite aventure. Ma fierté en pris un coup lorsque elle troqua ma fierté contre une punition et une interdiction de sortie. Est-ce parce que j’avais parlé avec un inconnu et, de plus, monter dans sa voiture ? Ou a-t-elle cru que je lui mentais et inventais une excuse à mon retard ? Peu importe.
Je suis allé plusieurs fois assister aux représentations que donnaient les artistes de petits cirques de passage. J’ai vu des dresseurs de chèvres, des enfants acrobates et des clowns caricatures mais je ne sais plus si, malgré l’interdiction, je me suis rendu à la représentation de ce soir-là, dans ce cirque-là. Peut-être pas. Mais il me plait d’imaginer qu’à l’entrée du cirque, l’homme au nez rouge, le clown aux grands pieds regardait sa montre en m’attendant et qu’il m’avait réservé la meilleure place. Il aura été déçu de mon absence et son numéro moins drôle qu’à l’habitude.
Peu importe ce qui se passa par la suite. L’important aujourd’hui est que ce souvenir d’enfance demeure et qu’un modeste cirque aussi petit soit-il fasse ressurgir cette naïve émotion.
Car oui, ce jour-là, au retour de l’école, j’ai vraiment mené une girafe à l’hôpital.
Depuis le temps est passé. Les champs ont déroulé leur derniers tapis aux bâtiments et se sont laissés étouffer par d’autres flonflons gris et enfumés d’une nouvelle ville. Une ville où il n’y a plus de place pour les petits cirques, où le rêve et la féerie ne sont que virtuels. Une ville où les enfants qui sauvent les girafes n’existent plus.
Parce qu’il n’y a plus de girafe dans nos villes. Et c’est bien dommage.
Alors, toi, la girafe de mon enfance, si par magie, tu lis les mots que j’écris, saches que c’est moi, oui c’est moi qui t’ai sauvé la vie. Je suis un sauveur de girafe.
Dans ma tête d’enfant. Dans mes souvenirs d’adultes qui, eux aussi, ont parfois besoin d’un nez rouge.
Illustrations :
tableau "girafe sur le pont" : Thomas Herbrich
Photo "girafe" : Luis Beltran