Je suis monté sur un nuage...
Et il m’a emmené. Là-haut. Tout là-haut.
Le ciel était mien. J’étais le ciel.
Et je regardais le monde.
J’ai cru me voir. En bas, tout en bas. Petit, tout petit.
Je me suis fais signe mais ne me suis pas vu.
Je me suis appelé et je me suis vu me regarder.
Qui le premier m’a souri ? Moi d’en haut ? Moi d’en bas ?
Peu importe, je me suis souri.
Le vent a soufflé un peu et mon nuage a avancé.
Alors je me suis dis au revoir.
J’ai vu de la fumée rouge. Et je me suis vu encore.
Je pleurais. Je tenais un enfant blessé. Du sang coulait sur mes mains.
Je me suis appelé. Mais ma voix ne m’est pas parvenue.
Alors j’ai pleuré avec moi.
Et le vent m’a poussé encore.
Mes larmes ont séché quand j’ai vu cette femme brune.
Elle était amoureuse et heureuse.
Je lui ai envoyé des pétales de roses roses.
Elle m’a vu et m’a fait signe. Et je me suis reconnu. Elle était moi.
Le savait-elle ? Je le crois.
J’ai vu aussi cet enfant noir qui priait sur la tombe de son père.
De là-haut, je l’ai vu. J’ai prié avec lui. Pour lui, pour son père.
Sa prière lui a fait lever les yeux au ciel. Et il m’a aperçu.
Et l’émotion de constater que cet enfant était moi, lui aussi, et surtout que le nom gravé sur la pierre était le mien.
Et le vent encore, plus fort, m’a poussé sur mon nuage.
Encore de la fumée rouge. Je m’attendais à me voir cette fois. Et je me suis vu.
J’étais juif et je pleurais. Des souffrances de la guerre ou de joie ? J’étais trop haut pour le savoir.
J’ai crié mon nom et j’ai levé la tête vers moi. Mais alors, je n’étais plus juif, j’étais arabe.
Et je pleurais. Des souffrances de la guerre ou de joie ? J’étais encore trop haut pour le savoir.
Puis, d'un coup, je me suis vu en train d'écrire ces mots.
Et mon nuage a éclaté. En pluie, je suis tombé jusqu’à moi. De ma tête à mes pieds. Mon corps entier, mouillé. Enveloppé.
Depuis j’attends.
J’attends que la chaleur du soleil me fasse m’évaporer. Pour former à mon tour un nuage. Un nuage où je t’emmènerais.
Pour qu’à ton tour, tu te voies dans cet enfant qui prie, dans cette femme amoureuse, dans la dépouille d’un être mort, dans les larmes de sang qui coulent sur les joues de ce juif, de cet arabe. Et dans tous ces autres toi-même, emplis de joies, de peines, de vies et de morts, dont je ne t’ai pas parlés et dans lesquels aisément tu te reconnaîtras. Tu verras.
Car moi, de mon nuage, tout là-haut, je t’ai vu. Tu as levé tes yeux vers moi quand j’ai crié mon nom.